Le coup d’État militaire au Niger a affecté tous les secteurs de la société nigérienne, démontrant le rôle central de la gouvernance dans les résultats sécuritaires, économiques et sociaux. Un aperçu d’un éventail de ces résultats met en relief un changement important dans la trajectoire du Niger depuis le putsch. Dans la décennie précédant le putsch et bien qu’il soit l’un des pays les pauvres au monde, le Niger avait réalisé des progrès remarquables sous les présidents démocratiquement élus Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum. Mais nombre de ces acquis ont depuis été bouleversés. Avec le resserrement des restrictions sur les médias et l’espace informationnel sous la junte, la portée réelle de cette détérioration est difficile à évaluer. Ce renversement de trajectoire aura des ramifications pour toute la région puisque ce pays enclavé et historiquement pacifique de 25 millions d’habitants partage ses frontières avec sept voisins.
Indicateur de stabilité : La sécurité
Leadership démocratique avant le putsch
- Avant le putsch, le taux de décès attribuables aux attaques de groupes militants avait diminué de 53 % en 2023 compare à 2022.
- Les dépenses militaires avaient augmenté de 64 % sous Bazoum pour atteindre 309 millions de dollars en 2023.
- Des programmes de désarmement et de déradicalisation encourageaient les défections parmi les groupes extrémistes violents au Sahel.
- Dans le sud-est, où le Niger avait fait face aux menaces de Boko Haram, aucun évènement violent ne s’était produit entre 2021 et 2023 et les communautés déplacées rentraient dans leurs villages.
Après le putsch, sous la junte
- Selon les projections, les décès liés aux groupes extrémistes devraient atteindre plus de 1 600 en 2024, soit une augmentation de 60 % par rapport à 2023.
- Depuis le putsch, au moins huit attaques de groupes islamistes militants ont chacune causé la mort d’une douzaine de soldats. Cela reflète le niveau de violence envers les forces armées le plus élevé depuis 2021.
- Puisque les militants islamistes prennent de plus en plus le contrôle des routes vers Niamey, la capitale est de plus en plus isolée.
- Les efforts de désarmement et de déradicalisation ont cessé depuis le putsch.
Indicateur de stabilité : L’économie
Leadership démocratique avant le putsch
- Pendant la décennie Issoufou et Bazoum, le revenu par habitant au Niger avait augmenté de 26 %.
- La Banque mondiale avait projeté une croissance économique de 7% en 2023 et de 12,5 % en 2024.
- Malgré la hausse mondiale des prix des denrées alimentaires, le Niger était parvenu à maintenir son taux d’inflation autour de 4 %, le taux le plus bas de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
- En 2022, le Niger a vécu sa première année sans aucune journée d’école perdue causée par une grève de professeurs ou d’élèves.
Après le putsch, sous la junte
- La junte nigérienne a déjà manqué quatre paiements de dettes et a aujourd’hui fait défaut sur 519 millions de dollars de dettes.
- La Banque mondiale prévoit maintenant que la croissance économique diminuera de 45 % par rapport aux projections précédentes.
- Le prix des céréales dont le millet, le sorgho, le maïs et le riz ont tous augmenté de plus de 12 % par rapport à la même période en 2023, le riz ayant subi l’inflation la plus importante, de 35 %, dans le pays.
Indicateur de stabilité : Espace démocratique
Leadership démocratique avant le putsch
- L’élection de Bazoum avec 56 % des votes en février 2021 avait été largement perçue comme libre et juste.
- Dans le premier transfert de pouvoir pacifique de l’histoire du Niger, Bazoum avait succédé à Issoufou qui s’était retiré conformément à la constitution après son second mandat.
- Une trajectoire démocratique émergeait donc après une longue histoire de gouvernement militaire au Niger, y compris quatre coups d’État militaires entre 1974 et 2010.
Après le putsch, sous la junte
- Dans les semaines suivant sa prise de pouvoir, la junte a remplacé tous les gouverneurs des régions du Niger avec des personnes loyales à l’armée.
- Une pétition signée par des dizaines de professeurs et d’administrateurs universitaires exigeant que la junte retourne à l’ordre constitutionnel et la volonté souveraine du peuple nigérien a entrainé la junte à les intimider ou à les renvoyer.
- En avril 2024, la junte a dissous tous les conseils locaux et municipaux, remplaçant nombre d’entre eux, y compris le maire de Niamey, avec des officiers de l’armée.
Indicateur de stabilité : Médias indépendants
Leadership démocratique avant le putsch
- Les journalistes d’investigation nigériens avaient joué un rôle essentiel en exposant la diversion de millions de dollars dans des marchés militaires.
- La liberté de la presse était respectée sous Issoufou et Bazoum, même lorsque certains médias indépendants se sont montrés très critiques d’une loi sur le crime sur internet écrite pendant le mandat d’Issoufou. Des journalistes avaient averti qu’elle était trop restrictive et risquerait d’être utilisée pour cibler injustement les journalistes avec des accusations de diffamation.
Après le putsch, sous la junte
- Les journalistes ont depuis le putsch subi la violence, de la surveillance et l’intimidation se sont par la suite autocensurés par peur d’être harcelés ou arrêtés.
- Les journalistes sont régulièrement détenus pour leur travail sur des questions perçues comme menaçantes pour la junte. La très renommée journaliste d’investigation Samira Sabou, qui avait exposé des irrégularités dans les passations de marchés de défense, a ainsi été inculpée pour avoir « disséminé des données susceptibles de perturber l’ordre public ».
- En janvier 2024, la junte a fermé la Maison de la presse du pays. Cette association rassemblant 32 médias professionnels, avait « dénoncé l’interruption de la démocratie et rappelé aux militaires le respect des libertés fondamentales ».
- Depuis le putsch, des groupes soutenant la junte ont attaqué et intimidé des journalistes locaux et internationaux.
Indicateur de stabilité : Espace informationnel
Leadership démocratique avant le putsch
- Les parlementaires nigériens avaient adopté une loi de protection des défenseurs des droits humains en juin 2022. Cette loi protégeait ces activistes contre les attaques, les représailles et les restrictions légales injustifiées.
- En 2022, le Conseil des ministres avait adopté un amendement à la loi sur la répression des crimes cybernétiques éliminant les peines de prison pour la diffamation et les insultes via des systèmes informatiques.
Après le putsch, sous la junte
- Depuis le putsch de juillet 2023, les médias digitaux nigériens ont été submergés par des réseaux liés à la Russie qui utilisent des fausses techniques coordonnées pour déformer l’espace informationnel au sujet du Niger et de la junte.
- Très peu de ces comptes coordonnés qui amplifient la désinformation au Niger sont basés à l’intérieur du pays.
Indicateur de stabilité : Transparence
Leadership démocratique avant le putsch
- Un audit de 2020 du secteur de la sécurité avait trouvé 120 millions de dollars de dépenses en passations de marchés non déclarées.
Après le putsch, sous la junte
- En février 2024, la junte a révoqué les lois de contrôle qui exigeaient une comptabilité transparente du secteur de la défense.
- Le gouvernement et la junte faciliteraient le trafic d’or artisanal vers les Émirats arabes unis.
Indicateur de stabilité : Souveraineté nationale
Leadership démocratique avant le putsch
- Sous Bazoum, les négociations avec les entreprises minières avaient permis d’obtenir des meilleures conditions et crée des millions de dollars d’investissement supplémentaires dans les écoles et les secteur social.
Après le putsch, sous la junte
- Comme le reflète la tactique russe de contrôle réflexif selon laquelle un acteur étatique provoque un autre acteur à prendre des décisions contre son propre intérêt en fournissant des informations soigneusement épurées, la junte a pris des décisions qui sapent la sécurité, l’économie et la souveraineté du pays. Cela comprend l’ébranlement des voix démocratiques des Nigériens et de leur capacité d’action.
- La junte aurait accepté de payer en espèces et en concessions aurifères le déploiement de soldats de l’Africa Corps russe. Les leaders de la junte ont qualifié ce coût “d’élevé” pour le Niger.
Ressources complémentaires
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Tentative de coup d’État au Niger : Fiche d’information », Éclairage, 28 juillet 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Évaluer la transition qui n’en est pas une au Mali », Infographie, 3 février 2024.
- Dan Kuwali, « Améliorer la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique par le contrôle et la redevabilité », Bulletin de la sécurité africaine No. 42, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, septembre 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La crise au Burkina Faso continue son engrenage », Infographie, 12 septembre 2023.
- Joseph Siegle, « La perte progressive de la souveraineté africaine », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 8 février 2023.
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